Cri de velours (2018-2021)
Vinyle sur Bandcamp

Extraits audio

Design : Criterium
Animation : Studio Nord Est

Pressage vinyle : Le Vinylist
Matriçage : Avatar, Guillaume Côté
Texte : Marie-Pier Bocquet

Traduction : Alexandre Payer
Correction : Valérie Litalien

Chronique de Philippe Franck pour le magazine Jazzmania : Autour du cri

En vente : Le Knock-Out (Québec) et Caravansérail (Rimouski)

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La pratique multidisciplinaire de Carol-Ann Belzil-Normand, qui a fait l’objet de nombreuses expositions et présentations publiques ces dernières années, se déploie au sein d’installations, de vidéos et d’œuvres d’art sonore ou souvent dans la rencontre des trois. En conviant une variété de techniques et de matériaux, incluant même des hologrammes et des odeurs, l’artiste créé des espaces multisensoriels qui commandent une réponse du corps tout entier. Au-delà de l’exploration d’effets optiques, ce travail outrepasse les limites des arts visuels pour proposer une expérience englobante dans laquelle s’accomplit une forme de synesthésie, c’est-à-dire une rencontre entre des stimulus de différentes natures.

Lorsque vient le temps de décrire l’œuvre de Belzil-Normand, il est donc difficile d’éviter le champ lexical des sens, et pour moi, paradoxalement, celui du toucher. En effet, si le contact avec la matière semble aller de soi chez les artistes, la distance que l’écriture confère aux objets qu’étudient les auteurtrices semble les prédisposer à favoriser avant tout le regard. Néanmoins, ce sont des impressions haptiques que suscite d’abord chez moi le travail de Belzil-Normand : je pense au molletonneux et au douillet des œuvres sur textile (le suave, pour rappeler le titre d’une exposition antérieure), au lisse et au froid des céramiques, mais aussi à la chaleur et à la légèreté qui irradient d’un dessin éclaté et doux, lumineux, sur écran vidéo. Le jeu d’association auquel je me prête n’est pas étranger à la façon dont l’artiste, depuis la parution d’Odeurs sonores en 2014, se plaît à faire cohabiter les vocables dichotomiques, qui pourtant trouvent leur écho dans les évocations de souvenirs ou d’expériences sensorielles propres à chacun. Cri de velours, ce nouvel opus, porte ainsi en son titre la promesse d’un univers riche, touffu, chatoyant et en même temps rauque, rugueux, dissonant.

Le motif parcourant l’œuvre est un échantillonnage du cri de l’artiste, qui se module au gré d’environnements sonores parfois éthérés, parfois entêtants. La voix, vibrante, est au premier plan, seule et continue, ou encore spatialisée, fractionnée et dupliquée, sur un bourdonnement ininterrompu rappelant les bruits du corps et autres battements de cœur dont on ne prend vraiment conscience qu’en sondant son intériorité. L’ensemble donne un effet puissant, sorte de manifestation primitive du langage, intime, rassurante, violente et sensuelle tout à la fois. Il m’importe de qualifier ce cri de féminin, en continuité avec l’intérêt que Belzil-Normand porte, dans ses travaux, à une figure du corps féministe, libérée des diktats de la beauté et embrassant son humanité (que ce soit par la représentation d’une sexualité se détachant du male gaze ou encore par la mise en images de fluides et de fonctions corporelles, ainsi normalisées). Une identité féminine plurielle, ni enragée ni soumise, s’entend dans ce cri ; héritière de manœuvres plutôt radicales comme celles auxquelles Yoko Ono ou Marina Abramović ont donné forme depuis les années 1970, l’artiste s’approprie un acte ayant un potentiel de subversion et l’exploite avec finesse, tout en nuances. En résulte une pièce enveloppante, qui m’amène de nouveau à ressentir quelque chose comme la dureté du métal, mais aussi l’humidité des gouttes de pluie ; la chaleur d’un souffle et l’énergie d’une exclamation ; et nombre d’autres associations qui se construisent en strates renouvelées à chaque écoute.

Marie-Pier Bocquet

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Carol-Ann Belzil-Normand’s multidisciplinary practice, showcased in many exhibitions and public presentations over the past few years, unfolds across the fields of installations, video and sound art, often merging the three. Combining an array of techniques and media, even including holograms and smells, the artist creates multisensory spaces that elicit full-body responses. Going beyond the exploration of optical effects, her work exceeds the limits of visual arts into a form of global experience akin to synesthesia, a convergence of stimuli of various natures.

It is hard not to use a sense-related vocabulary to describe the work of Belzil-Normand ; I myself, paradoxically, find it is closely associated with touch. Indeed, whereas being in contact with materials seems self-evident for most artists, the distance that writing confers on the objects studied by authors usually predisposes them to focus on the sense of sight. Nevertheless, I find the impressions aroused in me by Belzil-Normand’s work are primarily haptic in nature : the soft downiness of her works on textiles (there suave-ness, to call back to a previous exhibition), the smooth coolness of her ceramics, but also the lightness and the warmth radiating from a soft, unconventional drawing illuminated on a screen. This free-association game I engaged in is very similar to how the artist, ever since the publication of Smell of Sound in 2014, combines terms that, although dichotomic, tend to resonate with our personal memories and sensory experiences. Cri de velours (velvet scream) is a new opus that contains in its title the promise of a richly dense world, as shimmering as it is rough, coarse and dissonant.

The sampling of the artist’s scream, modulated to various sound environments—at times ethereal, at times overpowering—is a recurring motif throughout her work. The vibrant voice in the foreground, either alone and continuous, or spatialized, fragmented and duplicated, creates an uninterrupted drone reminiscent of a heartbeat or other deep bodily noises that go unnoticed unless one stops to probe their inner selves. The ensemble produces a powerful effect, a sort of primitive manifestation of language, at once intimate, reassuring, violent and sensual. It is important to note that what we hear is a woman’s scream, in line with Belzil-Normand’s interest in the feminist body, liberated from the tyranny of beauty and embracing her humanity (either through representations of sexuality free from the male gaze, or normalizing depictions of bodily fluids and functions). The scream embodies a plural feminine identity, neither enraged nor submissive. In the lineage of the rather radical performances that artists like Yoko Ono or Marina Abramović have been engaged in since the 1970s, Belzil-Normand proposes a very delicate and nuanced appropriation of a potentially subversive act. The result is an enveloping piece that leads us to once again feel such sensations as the hardness of metal, the wetness of raindrops, the warmth of a breath or exclamation ; this, along with a many other associations that build into endlessly renewed layers with each listening experience.

Marie-Pier Bocquet